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Micro$oft contre l'innovation


Voici une interview de Roberto Di Cosmo donnée sur TF1 en octobre 1998.


Microsoft a la capacité technologique de devenir Big Brother

Roberto Di Cosmo interrogé par Pascal Emond.


Face au géant Microsoft, la contestation prend ses marques en France.
Elle a trouvé son porte-parole : Roberto Di Cosmo, 35 ans, maître de conférence au département de mathématiques et d'informatique de l'Ecole normale supérieure. Après Piège dans le cyberespace, sa diatribe sur Internet, l'universitaire récidive avec Le Hold-Up planétaire, ouvrage d'entretien avec Dominique Nora, journaliste au Nouvel observateur. Roberto Di Cosmo y détaille ses nombreux griefs contre le géant de Seattle. Entrave à la concurrence, failles technologiques, volonté de mainmise sur le Web : Le chercheur se montre sans pitié.

TF1 Interactif : En tant qu'universitaire et fieffé opposant à Microsoft, qu'attendez-vous de ce procès antitrust ?

Roberto Di Cosmo : Je ne vais pas, comme certains délirants jusqu'à prôner la nationalisation pure et simple du géant de Seattle. Plus raisonnablement, la solution la plus simple consisterait en un morcellement des différentes activités, à séparer les départements bureautique, Internet et système d'exploitation. L'intérêt du consommateur est évident : si on casse Microsoft en morceaux, cela améliorera la fiabilité puisque les programmeurs seront forcés de mettre en place des interfaces claires entre les différents logiciels, donc de mieux écrire leurs programmes.

TF1 I. : N'est-il pas trop tard pour un tel procès ?

R. D. C. : Non mais je crains surtout que la montagne accouche d'une souris comme ce fut le cas avec le "consent decree" en 1995. Cela dit, le département d'Etat est conscient de s'être fait posséder il y a trois ans et paraît plus déterminé. En l'état actuel des choses, on peut comparer le marché du software à la situation de deux entreprises construisant deux bâtiments identiques. Seulement l'entrepreneur A possède le cabinet d'architecte concepteur des plans. S'il change le plan en cours de construction sans en souffler mot, il aura un avantage sur l'entrepreneur B. Un manque manifeste de transparence de l'information et donc une entrave à la concurrence.

TF1 I. : Pourquoi Microsoft cherche tant à repousser le début du procès ?

R. D. C. : Tout simplement parce que six mois dans l'informatique, c'est une éternité. En attendant le procès, Microsoft continue à vendre des explorer pré-installés. Et ce qui est vendu n'est plus à vendre !

TF1 I. : La pré installation de Windows et d'Internet explorer sur les PC, c'est ce que vous appelez "l'odieux chantage" ?

R. D. C. : Certains témoins disposeraient de preuves selon lesquelles Microsoft imposerait des pénalités aux constructeurs s'ils ne pré-installent pas Windows. En fait, il s'agit plutôt d'une atmosphère malsaine qui pousse à ne pas "agacer" la firme de Bill Gates surtout sur le marché grand public. En revanche, ce qui me semble vraiment illégal, c'est que le remboursement de Windows se révèle impossible. Or derrière le CD-Rom fourni avec le PC, on peut lire que toute personne ne souhaitant pas utiliser Windows est libre le retourner pour remboursement. Et je suis bien placé pour savoir que ce genre de demande reste lettre morte. Depuis plusieurs mois, j'essaye de me faire rembourser Windows que j'ai acheté, malgré moi, en acquérant un PC. Je me heurte aux prétextes les plus divers.

TF1 I. : Toujours selon le département de justice américain, Microsoft imposerait aux propriétaires de sites d'optimiser leur site pour Internet explorer. Quelles sont vos constatations à ce propos ?

R. D. C. : Ce qui m'étonnera toujours, c'est la stupidité dans la conception de sites Web commerciaux, dont le but, ne l'oublions pas, est d'accepter un maximum de clients. En optimisant leurs page sous Explorer, ces sociétés se privent de la partie de la clientèle qui navigue sous Netscape par exemple. Je songe notamment à un site de vente de billets d'avion. Ou au site de jeu "Gaming zone" qui fonctionnait très bien sous Netscape avant d'être racheté par Microsoft. Et soudainement Gaming zone n'était plus accessible que sous Explorer. C'est que j'appelle la tentation de Microsoft de réécrire l'Histoire. Avant, avec la culture papier, il aurait fallu brûler des milliers de pages. Maintenant, il suffit de changer la page Web! Notez que "l'affaire" gaming zone a suscité un tel scandale chez les habitués que Microsoft a changé le message d'accueil. Ce dernier propose maintenant aux internautes surfant sous Netscape 3.0 de télécharger IE 4 ou Netscape 4.0.

TF1 I. : Vous croyez également avoir remarqué, de façon plus "empirique", que Netscape marche moins bien une fois Explorer installé sur le même PC.

R. D. C. : Oui, l'explication est une fois encore liée à l'absence de séparation entre les applications Microsoft comme Explorer et le système d'exploitation Microsoft. L'installation peut modifier certains modules du système. En s'installant après Netscape, Explorer peut le priver de certaines de ses fonctionnalités. Encore un défaut qui disparaîtrait en cas de morcellement des activités de Microsoft.

TF1 I. : Peut-on soupçonner une volonté de nuire dans cette incompatibilité partielle ?

R. D. C. : Je ne suis pas dans la tête des programmeurs. La question qu'il faut se poser c'est : "A qui ça profite". Toujours à Microsoft. Alors oui, je crois qu'il y a de la malice là-dedans. Mais je laisse les utilisateurs juges.

TF1 I. : Vous allez beaucoup plus loin que les accusations de monopole et d'entrave à la concurrence en qualifiant les logiciels Microsoft de "mauvais produits", "chers". Sur le plan technique, quels sont vos griefs contre la firme de Seattle ?

R. D. C. : L'absence de protection des fichiers et l'absence de séparation entre le DOS et les applications. Sous DOS, n'importe quel programme ou virus peut aller se balader n'importe où. Il n'y a aucune barrière de sécurité. Seulement voilà, Microsoft ne fait pas de la sécurité une de ses priorités. Un problème qui se pose très crûment avec le langage Active X, concurrent de Java.

TF1 I. : La taille des logiciels Microsoft qui, selon vous, fait d'eux des "obésiciels" n'est-elle pas liée à l'effort de l'entreprise pour concevoir des logiciels conviviaux, simples à utiliser ?

R. D. C. : On ne peut absolument pas relier taille et convivialité. Si Word ou Excel sont si lourds, c'est parce que les programmeurs n'ont pas pris le temps de les structurer. Les sorties sont trop rapides. Les concepteurs ne se laissent pas le temps d'améliorer les produits. C'est d'autant plus dommage que la concision est un gage d'efficacité. Songez que le code source de Windows 95 compte plus de dix millions de lignes !

TF1 I. : Vous accusez encore Microsoft de mettre en vente une version "provisoire" avant d'y apporter les dernières améliorations. Cette fuite en avant, cette obsolescence à vitesse grand V, c'est tout de même le propre de ces technologies de grande consommation.

R. D. C. : C'est vrai et alors ? Ce n'est pas parce que tout le monde le fait que ce n'est pas critiquable. Microsoft domine et essaye de faire croire qu'il va nous guider. Il ne faut tout de même pas oublier que le fabricant de Software s'est converti de façon très tardive au Web. Le virage s'est opéré en 1995. Et de façon habile ! Quand je me rend en Argentine, j'entend dire qu'Internet est un produit Microsoft !

TF1 I. : Dans Le hold-up planétaire, vous n'évoquez pas Frontpage. Serait-ce à vos yeux la seule réussite de Microsoft ?

R. D. C. : Non, on peut nommer aussi les évolutions de Word avec le correcteur d'orthographe. Le "hic" c'est que ces innovations intéressantes viennent souvent de petites concepteurs. Et Microsoft les a tout simplement copié.

TF1 I. : Outre les défauts techniques et les accusations de plagiat, vous comparez Microsoft au "Big brother" d'Orwell. N'exagérez-vous pas un peu la "menace" Microsoft ?

R. D. C. : Attention, je ne pense pas que le but de Microsoft est de devenir Big brother. Parce que je suis optimiste. En fait, la firme de Bill Gates est en position technologique de le devenir. Si une seule société s'arroge un contrôle complet de la chaîne de l'information, qu'elle maîtrise le système d'exploitation (DOS), le serveur (Windows NT), le navigateurs (IE 4) , mais aussi les tuyaux de l'Internet ainsi que Word et Excel, elle est alors en mesure d'accéder à tous les fichiers, de lire le contenu de tous les mails. A l'heure actuelle, si vous vous rendez sur un site qui reconnaît les systèmes de sécurité de votre navigateur Explorer, il peut aller chercher des informations dans vos propres fichiers.

TF1 I. : Vous affirmez qu'avec son portail msm.com et son projet de téléphone Internet, Microsoft tente de maîtriser les flux d'informations. On ne peut tout de même pas reprocher à une entreprise de vouloir se positionner sur des marchés porteurs !

R. D. C. : Certes mais cette entreprise ne doit pas pour autant profiter d'une position de monopole pour aller sur un marché. Microsoft cherche à développer ses nouveaux projets avec ses produits déjà existants ou, en dans d'autres termes, "optimiser" avec les applications existantes.

TF1 I. : Craignez-vous vraiment que le Web devienne une sorte d'"Intranet Windows" ?

R. D. C. : Non parce que je vous rappelle que le serveur "Apache" détient 50 % du marché. D'autre part depuis un an , je ressens un véritable élan pour trouver des solutions alternatives. Par exemple, Dell et Compaq viennent d'annoncer qu'ils allaient vendre à l'Education nationale des modèles sans Windows, équipés du logiciel libre Linux.

TF1 I. : Pouvez-vous donner une définition simple de ces logiciels libres qui recueillent vos suffrages ?

R. D. C. : Contrairement au code source des logiciels Microsoft, celui des logiciels libres est accessible à tous. Attention à ne pas confondre libre et gratuit. Un logiciel libre peut être gratuit ou non. On peut soit le télécharger gratuitement sur le Web soit l'acheter dans le commerce en bénéficiant ainsi du mode d'emploi et d'un service après-vente. Internet explorer ou Windows se disent , eux, gratuits mais ils ne sont pas libres.

TF1 I. : Accéder au code source, est-ce vraiment utile voire même souhaitable pour l'utilisateur lambda ?

R. D. C. : Le simple utilisateur n'a pas besoin "d'ouvrir le capot". Mais il y gagnera si une majorité de personnes peuvent y accéder pour le dépanner en cas de problème. Avec Microsoft, l'utilisateur ne dispose que d'un interlocuteur : la fameuse Hotline souvent débordée et incompétente. Et puis, imaginez qu'une bombe A tombe sur Seattle - ce que je ne souhaite bien entendu pas ! - personne ne dispose du code source de Windows NT. Je vous laisse imaginer le désastre. L'accès libre au code source constitue la meilleure assurance garantie de pérennité d'un logiciel.

TF1 I. : Linux est-il vraiment accessible à tout le monde ?

R. D. C. : Pas pour l'instant puisque la configuration de la machine nécessite des manipulations complexes. Pour la "ménagère de moins de cinquante ans" ce n'est pas encore ça. Mais KDE propose déjà de belles interface utilisateurs avec les mêmes raccourcis clavier que Windows. "K office", suite bureautique "libre" est d'ores et déjà disponible. Et il ne faut oublier que beaucoup de gens qui, sans être informaticien, aiment savoir comment ça marche. Sous Windows, tout ce que vous pouvez savoir, c'est comment on remplace du gras par de l'italique! Je crois vraiment en l'avenir du logiciel libre. D'ailleurs, les responsables de Compaq ont récemment annoncé qu'ils étudiaient la possibilité de pré installer Linux. Dell et Gateway, qui ne demandent qu'à se libérer de la tutelle Microsoft, pourraient bien suivre.

TF1 I. : Utiliser Microsoft c'est rentrer dans l'odieux chantage et vous reconnaissez que Linux n'est pas - encore - à la portée de tous. Alors où est la solution ?

R. D. C. : Pour les simples utilisateurs, le monde Macintosh avec notamment l'iMac, offre une alternative intéressante. Cela dit, s'il est plus solide que Windows, le système Mac n'est pas pour autant la panacée. Il ne dispose d'aucune protection réseau (NdR: ceci disparaitra avec MacOS X). En vérité je n'aime pas conseiller un système plutôt qu'un autre. Je refuse de me montrer aussi impérialiste que Microsoft. Chacun doit comparer puis choisir sur la base de son expérience.


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